Expérimentation de la transition de la VAE vers REVA : allègement ou floutage de procédure ?
Depuis le 22 décembre 2022, la loi “Marché du travail” prévoit de nouvelles mesures en vue du plein emploi. Parmi plusieurs réformes, celle de la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) nous permet d’alimenter une réflexion plus globale sur les politiques publiques et ce qu’elles sous-tendent, en matière de stratégie économique, d’emploi et de travail. Dans cet article, nous nous demanderons en quoi ces ajustements impactent l’ingénierie de formation, mais aussi la gestion des compétences, à l’échelle individuelle et organisationnelle.
D’une dynamique de validation à une dynamique de reconnaissance : Les changements induits par REVA et la VAE inversée …
Organisé en trois étapes (recevabilité, accompagnement, validation), le dispositif de la VAE s’inscrit dans une démarche à l’initiative de l’individu, permettant de faire reconnaître son expérience professionnelle, en vue d’obtenir une certification enregistrée au Répertoire National des Certifications Professionnelles. Vécue par les bénéficiaires comme un processus chronophage et parfois opaque, la refonte de ses process vise d’une part, à simplifier les démarches, et dans le même temps à redynamiser des secteurs en tensions, tels que le sport, la grande distribution, ou encore le champ sanitaire et social. Pour ce faire, l’État prévoit deux outils à disposition, de manière à simplifier la démarche et sécuriser les parcours des candidats :
L’expérimentation REVA, qui entame depuis quelques jours sa seconde phase, est l’incubateur des services numériques de l’État (beta.gouv.fr), soutenue par le ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion. Réduisant le parcours du candidat de 6 à 4 mois, supprimant la phase d’admissibilité du dossier, le dispositif prévoit également l’intégration d’acteurs appelés « architecte de formation », qui seront chargés d’accompagner le candidat, de la rédaction de son projet, en passant par la construction de son parcours, jusqu’à sa présentation de dossier à un jury. D’ailleurs, cette fonction est assurée par des acteurs aux profils différents, tels que des spécialistes de l’accompagnement, des certificateurs ou des acteurs conjuguant, grâce à leurs réseaux, les deux compétences. Ce dernier accompagnera le candidat et pourra mobiliser toutes les modalités de formation, valoriser les acquisitions informelles grâce à un système d’Open badges, et préconiser des formations ou certifications complémentaires.
Mais, peut-on dire que le rôle de l’architecte de formation est novateur ? En un sens, son rôle relève en partie des missions d’un ingénieur de formation et d’un conseiller en insertion. Nous pouvons nous questionner quant à la pertinence d’expérimenter cette fonction, en réalité déjà existante.
Autre changement impulsé par REVA, celui de pouvoir parceller la validation, par bloc de compétences, indépendamment de l’ensemble de la certification visée, ce qui répond à une logique d’approche par compétences. Le risque étant de prétendre le déploiement de l’employabilité, sans rendre compte de la précarité dans laquelle le salarié peut se retrouver. En effet, le développement de nouvelles compétences répond-t-il à l’acquisition de compétences propres à un métier, ou bien de compétences propres à une entreprise ?
La VAE inversée, quant à elle, vise à intégrer des actions favorisant l’insertion professionnelle, dans le cadre d’un contrat de professionnalisation, au niveau des secteurs en tension (logistique, bâtiment, rénovation, …). D’une durée de trois ans, il semble important de noter que dans ce cadre, la fidélisation par la compétence et par le besoin de l’entreprise est évidente.
Une tension entre les stratégies individuelles et institutionnelles …
Nous le comprenons aisément : les enjeux que présente la VAE sont tout aussi importants du côté du salarié que du côté de l’entreprise. Du côté de l’individu, elle s’inscrit dans un processus de revalorisation personnelle, puisqu’elle permet de reconnaître les compétences, non seulement d’une manière institutionnelle mais aussi individuelle, en verbalisant et en conceptualisant des modes opératoires des métiers. En ce sens, cela permet de capitaliser les compétences, au moyen d’une formalisation et d’une certification. Au-delà de la reconnaissance sociale, il s’agit aussi d’une sécurisation par l’obtention d’un diplôme, aujourd’hui garant de la représentation sociale de l’individu, et de l’accès à l’emploi.
Du côté de l’entreprise, même si l’individu n’es pas obligé d’annoncer sa démarche, il est fortement recommandé au candidat de faire part de son projet, de manière à obtenir de potentiels financements. L’entreprise a d’ailleurs tout à gagner à encourager et promouvoir la démarche, non seulement pour sécuriser les parcours et maintenir l’employabilité des salariés, mais aussi pour les limiter le turn-over et les campagnes de recrutements fréquentes. Or, si elle permet de valoriser les trajectoires, et de « faciliter les démarches », la VAE 2.0 sous-tend quelques dérives qui méritent d’être soulignées. Auparavant, une durée minimale d’une année était nécessaire pour tout individu souhaitant entrer dans un processus de VAE. Elle est, depuis la promulgation de la Loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022, « accessible à toute personne justifiant d’une activité en rapport direct avec le contenu de la certification visée », soit aucune obligation de durée d’exercice minimale. Cette rapidité avec laquelle un candidat peut prétendre à une VAE questionne non seulement la maîtrise du métier, mais aussi les impacts de la mobilité professionnelle accélérée. Ne pourrait-ton pas y voir une logique de rentabilisation du dispositif, dissimulant une fabrication de professionnels opérationnels prêt à l’emploi pour pallier le manque des entreprises ? Les intérêts reviennent-t-ils à l’individu et à sa formation, ou à l’entreprise et son besoin de fidélisation ?
Ainsi, les raisons qui conduisent les candidats à entreprendre une démarche de VAE sont multiples et résultent de la convergence de deux principes. Le besoin de l’individu de se doter d’une certification et le besoin de reconnaissance du travail pour soi. Une entreprise quant à elle, a de multiples raisons de soutenir la VAE de ses collaborateurs, tant pour maintenir son attractivité, et valoriser les trajectoires personnelles. Les changements induits par la réforme nous montrent, à minima, la pertinence du dispositif dans la dynamique de l’approche par compétence et de l’analyse du travail, qui sont au cœur des dispositifs encore innovants, qui tendent à devenir une norme d’ici quelques années, tel que l’AFEST et le tutorat en entreprise.
Toutefois, la figure de l’architecte de formation introduite par le nouveau REVA, n’est pas une modalité innovante, mais plutôt un outil recyclé issu de l’analyse d’activité et des dispositifs se focalisant sur une démarche de capitalisation des compétences par l’analyse du réel, et par une forme de tutorat, qui va devenir, comme nous l’avions abordé quelques mois plus tôt, une norme dans le champ de la formation professionnelle.
Pour approfondir la réflexion, voici un article complémentaire proposant des regards croisés sur les enjeux de la VAE pour l’individu et pour l’organisation.
https://www.cairn.info/reussir-sa-demarche-de-vae–9782100840410-page-31.htm