Une voie vers le déstigmatisation des filières professionnelles au lycée : « la cause nationale »
Ou quand la professionnalisation sert la privatisation …
Le projet France 2030 :
À l’aube du nouveau chantier du lycée professionnel (LP) annoncé par le président de la République début mai, les avis contraires quant au projet se multiplient. Nous essaierons de comprendre les axes du projet, ainsi que les débats qui en découlent…
Le cap sur 2030 est annoncé : 13 millions d’euros seront mobilisés pour accélérer la transformation du lycée professionnel, à travers un programme Etat-Régions, avec pour objectif commun de préparer au mieux les élèves aux « emplois d’avenir ». Un financement conséquent, destiné à former les enseignants, à rénover les matériaux techniques et promouvoir les nouvelles filières auprès des jeunes. Ce grand chantier se déclinent en douze mesures détaillées, qui affichent la volonté de renouer le dialogue et l’adéquation entre l’insertion professionnelle concrète et l’Education Nationale, notamment par la mise en place d’une rémunération des stages en entreprises, jusqu’alors peu reconnus en tant que tels. De fait, onze semaines de stages supplémentaires sont prévues à partir de la classe de première, jusqu’à la terminale.
Par ailleurs, les axes stratégiques illustrés par le gouvernement sont tournés vers l’individualisation des parcours et des trajectoires, qui ne sont plus seulement définis à travers le terme « parcours scolaire », mais celui de « parcours de formation ». L’approche « sur mesure » vient supplanter celle de tronc commun classique, contrastant nettement avec l’approche d’enseignement centré sur les savoirs et les connaissances. Ce parcours centré sur le projet du « futur professionnel » sera articulé autour d’unités d’enseignement majoritairement choisies par l’élève lui-même. De même, la pédagogie par projet sera fortement préconisée, favorisant l’implication dans les apprentissages, et permettant de répondre à des besoins de « clarté cognitive » de l’élève.
Enfin, la réduction des effectifs dans les matières dites fondamentales (maths/français) et la mise en place des dispositifs d’accompagnement avant, pendant et après la formation comme « un jeune, un mentor » sont des apports centraux de cette refonte totale du lycée professionnel.
Sous les pavés … l’iceberg :
Toutes ces perspectives, nous en conviendrons, sont louables et démontrent bien à quel point le vivier de travail et de réingénierie au niveau de l’enseignement professionnel sont à bâtir. Cependant, il ne peut y avoir de grands changements sans dialogue. Les enseignants du lycée professionnel, dont la revalorisation des salaires n’est (toujours) pas au centre du projet, dénoncent les écueils et l’impact de privilégier l’immersion en entreprise au détriment des matières fondamentales. S’ils se sentent peu concertés par le Gouvernement, les enseignants pointent du doigt l’évidente mise de côté des élèves du lycée professionnel, considérés comme « moins investis ». En supprimant les heures allouées à leur progression scolaire, l’écart risque de se creuser, comme le cite Marie-Noëlle Caire, représentante de la Force Ouvrière : « « Que ce soit l’enseignement professionnel, où les élèves ont besoin et ont des plateaux techniques dans les lycées souvent plus élaborés et performants que dans les entreprises, ce serait les priver pendant une période de tout cela. Et d’autre part, ça diminuerait automatiquement l’enseignement général, qui est souvent un problème pour ces élèves. »
Pour d’autres professionnels de l’éducation, l’implantation de temps supplémentaires en entreprise et l’approche métier par territoire annoncées dans le plan de réforme sont dangereuses et instaureraient une « carte des formations », contraignant les élèves à « l’hyper spécialisation » au regard des problématiques de métiers circonscrites à un territoire donné, les empêchant ainsi d’être mobiles à l’échelle nationale.
De manière plus générale, le corps enseignant dénonce un manque de concertation colossal avec les acteurs concernés, ainsi qu’une démarche déguisée de professionnalisation immersive au profit d’une économie privée et privative.
Et l’élève dans tout ça ?
« Mais je dis que c’est une cause, parce qu’aujourd’hui, malgré l’investissement de la nation, malgré le dévouement des enseignants, nous ne sommes pas au rendez-vous de la promesse que nous devons à ces élèves ». Cet extrait du discours de président de la République du 4 mai 2023 souligne cette « promesse » que l’état veut faire à sa jeunesse. Si les fonds sont débloqués pour fournir aux établissements des nouveaux supports techniques et des formations à son personnel, les contradictions sont flagrantes.
N’y a-t-il pas une dissonance dans le discours entre la centration sur les intérêts et le bien être des élèves, et l’objectif annoncé dans la réforme « faire du lycée pro un choix d’avenir pour toute notre économie » ? N’y a-t-il pas la question de fond de faire de l’enseignement professionnel et technique une « fabrique d’entreprise », centrée sur l’immersion professionnelle, au risque de délaisser les matières fondamentales et le tronc commun des bases de l’élèves, de côté, et créer encore plus d’écarts ? Est-ce que l’insertion professionnelle, tant mise en avant dans cette réforme, contribue à l’engagement et au plaisir d’apprendre des élèves ?
In fine, n’incombe-t-il pas une nouvelle fois aux enseignants d’effectuer un travail d’inventivité méthodologique, mêlant innovation pédagogique pour créer du lien entre les élèves et les savoirs scolaires, par la production d’outils et de situations pédagogiques ?
Tant de questions en suspens autour de l’ambition de créer une nouvelle manière d’appréhender l’enseignement professionnel, qui ne condamnent pas les prises de décisions, mais les interrogent, de manière à bâtir un enseignement cohérent. Ainsi, le premier bénéficiaire serait l’individu dans son processus de professionnalisation, et non pas, une économie vorace et omniprésente.
Pour compléter la réflexion, nous vous suggérons ce mois-ci un article de recensement théorique portant sur les méthodes et ressources à disposition, permettant de renforcer la motivation et l’implication des élèves issus de filières professionnelles. https://www.cairn.info/revue-spirale-revue-de-recherches-en-education-2017-1-page-13.htm
Bonne lecture, à dans un mois.
L’équipe d’Aladé Conseils.